En 1925, à Abalessa, ancienne capitale du Hoggar, des
archéologues ont découvert un caveau où se trouvait un squelette de femme bien
conservé, ainsi qu’un mobilier funéraire, des bijoux en or et en argent et des
pièces de monnaie à l’effigie de l’empereur romain Constantin. Ils définirent
cette tombe, datée du IVe ou du Ve siècle, comme étant celle de Tin-Hinan,
l’ancêtre des Touaregs. La découverte a fait rêver bien des chercheurs et des
écrivains. Nous essayerons, sur leurs traces, d’évoquer cette figure de femme
que les Touaregs nomment « Notre mère à tous ».
Tin-Hinan, cette femme énigmatique, dont l’existence nous a
été révélée par la tradition orale et dont le nom voudrait dire « celle qui
vient de loin » ou « celle qui se déplace », aurait été la mère fondatrice du
peuple touareg. A travers les récits et les chants véhiculés par ses
descendants, les hommes du désert, on peut retrouver son image : « Une femme
irrésistiblement belle, grande, au visage sans défaut, au teint clair, aux yeux
immenses et ardents, au nez fin, l’ensemble évoquant à la fois la beauté et
l’autorité ».
Lorsqu’elle est arrivée dans le Hoggar, « elle venait de
loin », indique son nom. Les chercheurs ont localisé cette origine chez les
Bérâbers (Berbères) du Tafilalet, une contrée présaharienne du sud marocain qui
devait être plus verdoyante qu’aujourd’hui.
Pourquoi quitta-t-elle ces lieux ? Personne ne peut le dire.
Alors rêvons un peu et regardons la situation de la région au cours de ces
années lointaines. Au IVe siècle, le nord de l’Afrique, et en particulier la
Numidie, est dominé par la puissance romaine qui a adopté la religion
chrétienne à laquelle s’est converti l’empereur Constantin. Cette Numidie, dont
le nom pourrait venir de nomade, est alors le théâtre de révoltes contre le
pouvoir romain. Diverses tribus circulent entre la côte méditerranéenne et les
régions plus au sud, colportant non seulement des produits divers mais aussi
des informations. Quelques membres de la tribu marocaine des Bérâbers, avec
Tin-Hinan, ont-ils quitté la région pour des raisons de conviction ou de
politique ? Première hypothèse.
Autre hypothèse : un conflit personnel au sein de la famille
ou de la tribu qui aurait incité Tin-Hinan à fuir loin de son milieu d’origine.
Une femme intelligente, une femme d’autorité qui prend la décision de partir...
pourquoi pas ?
Deux femmes dans le désert
Ce que l’on sait, grâce à la tradition orale rapportée par
le Père de Foucault qui l’a recueillie dans le Hoggar, c’est qu’elle ne fut pas
seule à faire le trajet mais qu’elle se rendit dans ce haut massif du Sahara
algérien en compagnie d’une servante nommée Takamat. Ces deux femmes
étaient-elle accompagnées d’hommes pour ce voyage aventureux ? Rien ne le dit
mais c’est vraisemblable. Traverser le Sahara était une aventure périlleuse,
même si ce désert brûlant, dont le nom en arabe signifie le Fauve, connaissait
un climat moins aride qu’aujourd’hui. Les vallées, les plaines, les squelettes
de rivières, témoignent qu’une réelle végétation existait autrefois, tandis que
les peintures rupestres indiquent que des chevaux y circulaient et que les
chasseurs y trouvaient du gibier.
Imaginons ces deux femmes effectuant leur trajet à travers
le désert. Sans doute ont-elles une monture : dromadaire, cheval, âne ( ?) qui
leur permet d’éviter de trop grandes fatigues et quelques bêtes comme des
moutons et des chèvres qui leur offrent le lait et la nourriture dont elles ont
besoin. Comment auraient-elles pu survivre sinon ? On sait que le chameau a
fait son apparition en Afrique au IIe siècle, venant de Libye, et que sa
résistance permettant de longues marches a transformé la vie des nomades. Dans
le Tafilalet et notamment à Sijilmasa, grand lieu de rencontres commerciales,
les caravanes chamelières faisaient halte. Bien que les Touaregs disent n’avoir
connu le chameau qu’après leur arrivée dans le Hoggar, il est possible que pour
ce voyage, Tin-Hinan ait utilisé un de ces vaisseaux du désert dont le pas lent
et sûr inspire confiance et qui reste encore de nos jours pour les Touaregs,
leur moyen de transport favori, leur monnaie d’échange, l’insigne de leur
richesse.
« J’ai pris ma longe et ma cravache au cuir tanné
et, voulant fuir ce lieu avant la fin du jour, j’ai saisi
mon chameau.
Jusqu'à ce que s’apaise le vent d’après l’orage, il avait
pâturé en un lieu agréable
où l’herbe d’emshéken était entremêlée de pousses d’ämämmän.
J’ai attaché ma selle ornée d’embouts de cuivre, qu’a
fabriqué pour moi un artisan habile, douce pour la monture et pour le
méhariste... » (poème touareg).
Tin-Hinan consulte le ciel
On trouve, dans les peintures rupestres du Sahara, la trace
d’une « route des chars » très ancienne, dont le trajet permet de trouver des
mares, des puisards ou des oueds. La petite cohorte de Tin-Hinan a dû
l’emprunter pour se procurer cette denrée rare, l’eau, dont un proverbe dit :
aman iman, « l’eau, c’est l’âme ». Les voilà donc suivant ce tracé. Les jours
passent, lentement. Parfois, la petite troupe aperçoit quelques nomades,
pillards possibles, qu’elle évite soigneusement. Les heures de la journée sont
chaudes et les voyageurs du désert qui subissent la brûlure du ciel accueillent
la nuit avec soulagement. La pause du soir est bienvenue, surtout si elle se
situe près d’un point d’eau et d’un pâturage. Les outres se remplissent et les
bêtes se régalent. Il faut faire vite car l’obscurité tombe d’un seul coup.
Tin-Hinan connaît les principales étoiles, elle consulte le ciel pour trouver
sa future direction. On dresse une tente faite de peaux de chèvres tendues sur
des arceaux. Le repas est frugal : une bouillie de farine mélangée au lait que
l’on vient de traire.
Un jour, enfin, le sable s’estompe et la roche granitique,
surmontée de crêtes et de pitons, apparaît. Il faut contourner les montagnes,
se faufiler dans les vallées, trouver les trous qui ont conservé l’eau de
pluie, et surtout faire manger les animaux. Région magnifique, mais aride et
difficile. Pourtant, c’est là que Tin-Hinan s’installe. L’oasis d’Abessala,
près de Tamanrasset, lui offre l’hospitalité de ses eaux et de ses pâturages. Y
rencontra-t-elle d’autres habitants ? D’après Henri Lhote, qui a écrit de
nombreux ouvrages sur l’Ahaggar (Hoggar), le pays aurait connu une population
nombreuse, attestée par les palmeraies de Silet et d’Ennedid et des puits
creusés avant l’arrivée de Tin-Hinan. Cette population noire, les Isebeten,
ayant presqu’entièrement disparu, Tin-Hinan n’aurait pas eu besoin de se battre
pour conquérir ces lieux devenus inhabités.
Que se passa-t-il dans les années qui suivirent cette
installation dans le Hoggar ? Qui fut le père des enfants de Tin-Hinan ? Un
compagnon venu avec elle du Tafilalet ? Un noble voyageur originaire de Libye
ou d’Egypte ? Ou simplement un survivant de ces habitants qui occupaient les
lieux précédemment ? Le nom de ce « père » n’est pas resté dans les récits
véhiculés par la tradition. Mais, chez les Touaregs, la femme jouit d’un statut
privilégié et le matriarcat est de règle, ainsi donc, n’est retenue que la
descendance féminine.
« L’antimoine enténèbre ses paupières sombres »
D’après la légende, Tin-Hinan aurait eu trois filles :
Tinert, l’antilope, ancêtre des Inemba ; Tahenkot, la gazelle, ancêtre des Kel
Rela ; Tamérouelt, la hase, ancêtre des Iboglân.
De son côté Takama, la servante, aurait eu deux filles qui
reçurent en cadeau de Tin-Hinan les palmeraies de la région que possèdent
toujours leurs descendants.
Les voilà donc installés dans l’oasis d’Abalessa. Les tentes
blanches se dressent dans ce paysage dominé par le haut massif de l’Atakor. La
beauté des paysages, le silence de la nuit, le vent dans les montagnes n’a pu
qu’inspirer ces nouveaux venus dans la région. Le tobol (tambour) et l’amzad
(violon monocorde) étaient-ils déjà présents à l’époque de Tin-Hinan ? On peut
imaginer que cette femme de caractère avait aussi le goût de la musique et de
la poésie, tout comme ses descendants et, qu’autour du feu, les habitants du
campement montraient leurs dons en ces matières.
Chantez, choristes, chantez pour les jeunes gens !
l’antimoine enténèbre ses paupières déjà si sombres, elle a
rehaussé ses sourcils, elle a orné ses joues de taches claires, pareilles aux
Pleïades Gaïsha, la chanteuse, que se passe-t-il ?
Frappe des mains plus ardemment, frappe le tambourin !
(poésie touarègue)
Tin-Hinan est l’amenokal (possesseur du pays), la reine de
ce petit peuple en voie de création. Est-elle, comme le raconte une légende, à
l’origine d’une ancienne écriture touarègue, le tifinagh, que l’on a trouvée
ici et là gravée sur des pierres ? Ces signes, composés de bâtons (des jambes
d’animaux ?) et d’ idéogrammes ronds (visages, soleil, astres ?) servirent-ils
de repères pour marquer les routes du désert ? Le mystère n’est pas élucidé.
Si l’on en juge par les découvertes faites au début du XXe
siècle, les nouveaux arrivants auraient trouvé à Abelassa un fortin témoignant
d’une occupation militaire romaine avec un certain nombre de pièces ayant servi
de chambres et de magasins. C’est dans une de ces cavités que Tin-Hinan sera
plus tard enterrée et que la mission conduite par M. Reygasse, directeur du
musée du Bardo à Alger, la découvrira en 1925.
De Tin-Hinan à la troublante Antinéa
D’après sa description, elle reposait sur un lit sculpté et
portait des bracelets d’or et d’argent. A proximité des chevilles, du cou et de
la ceinture, s’éparpillaient des perles en cornaline, agate et amazonite. Une
écuelle de bois portait la trace d’une pièce à l’effigie de l’empereur
Constantin. Ces objets ainsi que le mobilier témoignent des relations qui ont
pu se nouer entre les habitants de l’oasis et les voyageurs venus de l’Orient.
Tin-Hinan a donc été capable, non seulement de faire ce voyage à travers le
Sahara mais aussi de créer les conditions de vie dans les lieux et de nouer des
relations commerciales nécessaires à l’enrichissement du peuple né de sa
descendance.
Les Touaregs de l’Ahaggar ont donc naturellement conservé le
souvenir de cette femme remarquable, et leurs récits, recueillis par le père de
Foucault qui vécut en ermite à Tamanrasset au début du XXe siècle, inspira le
romancier français Pierre Benoît qui, dans L’Atlantide publié en 1920, met en
scène un jeune militaire rencontrant Antinea, une femme énigmatique qui règne
sur le Hoggar. « Antinéa ! Chaque fois que je l’ai revue, je me suis demandé si
je l’avais bien regardée alors, troublé comme je l’étais, tellement, chaque
fois, je la trouvais plus belle.... Le klaft égyptien descendait sur ses
abondantes boucles bleues à force d’être noires. Les deux pointes de la lourde
étoffe dorée atteignaient les frêles hanches. Autour du petit front bombé et
têtu, l’uraeus d’or s’enroulait, aux yeux d’émeraude, dardant au-dessus de la
tête de la jeune femme sa double langue de rubis. Elle avait une tunique de
voile noir glacé d’or, très légère, très ample, resserrée à peine par une
écharpe de mousseline blanche, brodée d’iris en perles noires. Tel était le
costume d’Antinéa... »
L’imaginaire de Pierre Benoît nous conduit loin de la
réalité et, pour retrouver l’ancêtre des Touaregs, il est préférable de lire
des ouvrages scientifiques modernes, mais dans ceux-ci la trace de Tin-Hinan
est bien mince. Tin-Hinan reste donc une reine de légende qui préfigure la
femme moderne, capable de créer la vie et de gérer le bien public. C’est ainsi
que les Touaregs nous ont transmis son image. C’est ainsi que nous avons tenté
de la faire revivre.
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