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11 avril 2012

La legende du macchabée du Djurdjura

Le Macchabée du Djurdjura est un cadavre d'un corps humain conservé à l'état naturel depuis des siècles au fond d'une grotte à l'abri des agents responsables de la décomposition. D'aussi loin que peuvent remonter les souvenirs des villageois des environs aucun, de ceux interrogés n'est en mesure de donner des précisions sur la présence du cadavre dans cette grotte  dènommée « Lghar n temdhint =Grotte de la ville » ou encore « Ifri Maareb = Grotte du Magreb» et grotte du Macchabée.   


Voici un récit, extrait d’un document de 1923.
La légende de la grotte du Macchabée du Djurdjura ou le trésor de KAROUN.
Sur la petite place du village d’ « El Korn », dont la pointe s’avance, comme un éperon aigu entre la route de Michelet et de Beni Menguellet, Amokrane le Khodja assistait placide et muet, à l’éveil du jour.
Le ciel palissant s’auréolait de lueurs brillantes du côte d‘Ait Hichem, et les cimes éloignés, émergeant des fonds obscurs de la nuit s’éclairaient des premières flèches du soleil. Partout les villages allongés sur les crêtes élevées, offraient à la caresse naissante de la chaude lumière du jour, les masses blanches et rouges de leurs maisons pressées et resserrées. Des gourbis d’El Korn, aux odeurs d’étable, commençaient à sortir avec de plaintifs beuglements, les petits bœufs adroits du Djurdjura, les chèvres mutines, passives et bêlantes, sous la conduite de jeunes bergers, de fillettes impubères et de vieilles femmes rabougries.


Dans ses mains habiles à mouler les caractères arabes avec le qualam de roseau, Amokrane laissait glisser, d’un mouvement rythmique, les perles chantantes de son chapelet. De son observatoire, son œil pouvait suivre les milles mouvements de la vie renaissante ; mais il paraissait indifférent à la beauté de l’heure qu’au calme serein de la nature. Pourtant, une silhouette surgissant à l’entrée du village lui fait dresser la tête.
- Que le salut soit sur toi, lui cria un étranger de passage. C’était un homme jeune, vêtu à la façon des Tolbas marocains la face émaciée et pâle.
Un silence s’établit. Le Taleb s’approcha d’ Amokrane, s’assit avec des gestes mesurés et reprit les salutations d’usage. Puis sans transitions.
- Connais-tu ô frère, la grotte de l’Azrou n’Tidjer ?
- Ne parles pas ainsi, ô étranger, s’empressa de répondre le Kabyle en regardant instinctivement et furtivement autour de lui.
- Prends garde de mécontenter le génie qui s’y trouve, il pour­rait t’arriver malheur comme à celui qui dort dans le trou du mort depuis si longtemps, qu’aucun de nos ancêtre, parmi les plus reculés n’a pu l’identifier,
- Tu connais donc la grotte ?
- Oui, mon père le Khodja et mon regretté grand-père, qu’Allah l’admette en sa miséricorde, m’ont souvent raconté qu’un immense trésor y est caché. Mais aucun homme n’a pu le découvrir. Qui oserait d’ailleurs, braver le génie qui le garde.
- Moi, répondit le Marocain, avec une flamme dans le regard. Je possède, ajouta-t-il à demi voix en se penchant vers son interlocuteur, un manuscrit d’un grand marabout de mon pays. Le chemin du trésor y est indiqué tout au long, et j’ai reçu de lui l’incantation favorable. D’un ton confidentiel, il se mit à réciter en montrant prudemment, sans le déplier, un papier jauni qu’il avait retiré de sa djebira de cuir.
« Un endroit dans la montagne d’Aourir Ouzemmour. Quand vous ar­riverez à Aourir Ouzemmour, demandez le lieu appelé Mekil El Mays. Cherchez. Vous trouverez une grotte dont l’entrée est situé du côté Nord. C’est une grotte. Entrez y et marchez un bon moment. Vous trouverez un marché sous forme de gens. Marchez encore un moment vous trouverez un mort. Marchez un autre moment vous trouverez un puit dans lequel il y a des escaliers naturels. Descendez dans ce puit, vous trouverez une petite ouverture pas­sez par cette porte, vous trouverez une forme de chèvre, marchez plus loin, vous trouverez du brouillard blanc, Avancez encore, vous trouverez des roseaux balancés par le vent. Marchez toujours et vous trouverez un arbre au pied duquel il y a des tas d’argent et d’or, des tas nombreux, de quoi charger mille chameaux. Tout cela est le trésor de Karoun, »
-Ah ! Si je trouve seulement un compagnon au coeur ferme et résolu pour m’accompagner, ajouta l’étranger avec un soupir. N’en connais-tu aucun, ô fils de Kabylie ? Un silence pesa entre les deux hommes.
- J’irai moi même, ô mon frère, murmura Amokrane. Sois ton hôte aujourd’hui et demain, à la pointe du jour, je te guiderai, s’il plait à dieu, vers la grotte d’Aourir Ouzemour.

L’aurore du lendemain trouva le Marocain et le Kabyle au pied de la muraille verticale et nue de I’Azrou n’Tidjer. De leur pas souples, vigoureux et sûr ils abordèrent la paroi rocheuse par un sentier dissimulé, capricieux et dangereux; plutôt fait pour des chèvres que pour des hommes.
Le sang battait dans leurs artères gonflées et la sueur inondait leurs fronts lorsqu’ils arrivèrent à l’entrée de la grotte. Ils n’accordèrent aucun regard à l’original et délicat lampadaire que forme un figuier sauvage poussé la tête en bas dans les (anfractuosités) de la roche ; mais ils ne purent retenir les frissons de crainte superstitieuse en franchissant le porche d’entrée qui se renferme, dit-on, sur les audacieux qui osent disputer au Génie la possession du trésor et profaner le silence ténébreux de sa demeure. Le Marocain avait prit soin en pénétrant de prononcer d’une voix troublée, la formule magique. Ils frissonnèrent encore en passant près du large puits obscur, ou la lumière d’une lanterne se perd dans d’inquiétudes profondeurs, tandis que se répercutaient le plus en bas, les échos lointains des pierres projetées. Puis, ils franchirent le labyrinthe, passage difficile et tortueux entre des pierres énormes et chancelantes. Et voici qu’à la lueur de leurs torches vacillantes, ils arrivèrent au marché de la grande salle peuplée de stalagmites en forte de gens accroupis, capuchons rabattus. Quelques mètres plus loin encore et la lumière du jour pénétrant par une lucarne naturelle les avertit qu’ils étaient arrivés à l’extrémité de la grotte,
Une émotion les saisit. Là, se trouvait le mort et aussi le puits au trésor fabuleux ! De la lucarne, les rayons lumineux apportaient dans la caverne une blanche et diffuse clarté, un cône d’éboulis partant de l’ouverture, venait mourir en s’évasant dans la salle. De petits cailloux aux teintes délicates, polis et ronds, jonchaient le sol. A gauche, dans une sorte de niche au seuil surélevé, se devinait le fameux puits. A droite, le plafond s’abaissait jusqu’au raz du sol. En se couchant, les deux hommes aperçurent un caillou plus grand que les autres, c’est le crâne poli du cadavre. Couché sur le dos, la face retournée vers la droite, il semblait continuer un sommeil séculaire. Près de lui, les vestiges d’un foyer, des pierres noircies, des cendres et quelques tisons éteints.
-C’est là, murmura le Marocain, aide moi à allumer le feu. Ils s’avancèrent sous la voûte basse, remplacèrent les tisons de l’ancien foyer, ajoutèrent du bois qu’ils avaient apporté et bientôt s’élancèrent des flammes dont les lueurs animèrent sur les parois rocheuses des formes fantastiques. Les deux hôtes chancelaient au moindre bruit répercutait par les recoins de la grotte. Le Marocain s’approcha du cadavre momifié, de son boussâdi tranchant, il découpa craintivement, sur le haut de la cuisse droite, à la limite du bas-ventre, à l’endroit où d’autres avant lui avaient déjà découpé, avec leurs mains profanatrices, un lambeau de peau élastique et souple. « Au nom de Dieu », dit-il. Dans le ventre une matière rouge, pareil à de l’agile, remplaçait les entrailles, sous l’action du couteau, quelques parcelles se détachèrent sur le sol. Impressionné, le Marocain recula en heurtant le bras droit de la momie…Une sueur glacée l’inonda. Son compagnon, le Khodja Kabyle baigné de lueurs du foyer avait un aspect spectral et livide.
-Haltes-toi, ô mon frère, murmura t-il au Marocain. Celui-ci s’accroupit devant le feu. De la pointe de son couteau, il déposa sur les tisons embrasés le morceau de peau en prononçant les formules Maraboutiques.
Des flammes pétillement et une fumée floconneuse s’envolèrent vers la voûte. D’une voix lugubre, le Marocain répéta les mots magiques qui s’amplifièrent. Puis le silence envahit de nouveau l’antre du cadavre…
Immobiles et anxieux, les deux hommes attendirent le Génie du Dieu, le guide unique et seul initié, qui devait, plus loin que le brouillard blanc, plus loin que les roseaux balancés par le vent les conduire aux tas nombreux d’or et d’argent, au trésor de Karoun….. Que mille chameaux chargeraient pour eux.
Il doit être dans le puits, souffla le Marocain d’une voix étouffée… Allons-y… D’un effort, ils se levèrent… Le puits s’ouvrait dans la niche gauche et gardait, dans ses ténèbres, l’impénétrable mystère de son trésor…. Une pierre détachée du bord, rebondi sur la paroi et toucha le fond… l’écho, divin sonna joyeusement aux oreilles des deux compagnons. Le trésor ! Y’a Allah ! Et leurs visages s’épanouirent. Descendons. Mais des profondeurs du puits, voilà qu’un bruit étrange et puissant s’élève, s’enfle et roule comme un tonnerre, pareil au froufrou de milliers d’ailes, à l’entrechoc, bourdonnant de battements rapides et multiples… Le bruit monte, formidable et terrible; un souffle violent frappe au visage les deux imprudents qui entrevoient terrifiés, une forme sombre et velue s’élève avec un bruit infernal… Le génie ! Le génie ! S’écrièrent-ils en fuyant épouvantés… .

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